Article paru dans Vous et votre Santé n°3, juillet–août 2012

Les rêves typiques

Normalement, la psychanalyse invalide toute tentation généralisante, comme les interprétations de rêves que l’on trouve dans les dictionnaires. Mais Freud consacre un chapitre qui renoue avec les clefs des songes dans sa Traumdeutung. De même, Carl Gustav Jung a montré l’existence d’un inconscient collectif et d’archétypes, et a laissé entrevoir qu’il existait un inconscient par métier. On ne se débarrasse pas si facilement des « rubriques » générales. Et il faut tenter de penser ensemble généralités et singularité. Freud a distingué, comme on sait, quatre mécanismes qui forgent le travail du rêve : le déplacement, la condensation, la figuration, et l’élaboration secondaire (ou transformation en un scénario). Le troisième, qui n’est pas le plus connu, me semble le plus intéressant : la « figuration » ou machine à transformer une idée abstraite en image concrète (rêver d’une haute tour peut évoquer l’orgueil, le caractère altier) rencontre la « sagesse populaire » qui prend la forme d’expressions figées (être vert de rage, avoir une langue de vipère). Un critique comme Michael Riffaterre a d’ailleurs postulé que « sous » tout texte littéraire pouvait se cacher une expression figée, qu’il nomme « hypogramme », et qui en constitue comme le secret. On pourrait tenter un mini-inventaire à la Prévert des types de rêves fréquents. Les dictionnaires ne considèrent qu’un objet dans le rêve, mais qu’advient-il quand les objets se multiplient, se scénarisent, se complexifient ?

A –  Je vole dans les airs peut tout aussi bien (et entre autres) être le reflet d’une personnalité :
a : qui plane et ne veut pas se confronter à la réalité, se lance dans une fuite en avant…
b : qui adopte une attitude de distance par rapport aux événements – « je m’élève au-dessus de tous ces problèmes » – se livre à une fuite stratégique et constructive…
c : qui démontre sa capacité à voler de ses propres ailes…
d : qui développe une aptitude relationnelle et la maîtrise de l’élément air…

Nous sommes déjà loin, on le voit, des dictionnaires de rêves et de leurs traductions sommaires.

B – On me poursuit, je cours traduit un problème de souffle, d’angoisse, de tourbillon.
Le rêveur a pu subir des attaques, des traumas. Face aux événements hostiles, le rêve indique (aussi) qu’il faut prendre le temps, et renverser la situation par le calme, une « mise au pas ».

C – Je n’arrive jamais à prendre le train ou l’avion peut se lire comme un manque de confiance et d’envie pour accompagner l’événement en cours. Le songe cherche à aiguiller, et à aiguillonner.

D – Être empêché de marcher peut traduire l’empêchement d’être soi-même, et incite à trouver une « démarche » pour y parvenir.

E – Perdre une dent est souvent associé à la perte d’un être cher dans les dictionnaires. Dans le réel rarement, heureusement. En revanche, la locution verbale avoir une dent contre quelqu’un pourrait constituer ici l’une des clefs interprétatives. Le rêve peut aussi signer un manque d’agressivité, une carence voire un excès. On ne mord pas dans la vie, car on ne meurt pas assez d’envie de vivre…

F – Terminons par ce rêve récurent : Passer des examens que l’on sait avoir déjà obtenus.
Freud évoque ce type de rêve dans la Traumdeutung et l’explique : le songeur dans le passé a surmonté l’obstacle, il réussira de même dans le futur.
On pourrait en proposer aussi (au moins) six autres lectures : inquiétude voire angoisse, remise en cause permanente (à la fois négative par l’incertitude qu’elle procure, positive par son esprit critique), capacité à se renouveler par examen de conscience, une forme de moule hérité du passé et dont on peine à s’extraire, une reproduction inconsciente que la raison ne parvient pas à dépasser par ses moyens habituels, examen de « pas sage », pour devenir soi-même hors des notions du bien et du mal subies par injonctions éducatives, religieuses ou claniques.

Loin du b-a ba, l’alphabet défile dans son entier. Les rêves nous lancent un défi, comme autant de cryptogrammes, comme un système hiéroglyphique, qui excède, et de loin, quatre niveaux d’analyse !

On sait, ou croit savoir, depuis Aristote, qu’il n’y a de science que du général, mais l’analyse des rêves tend à montrer qu’il faut croire à une « science du singulier ».

 

Soana Kristen, psychanalyste onirocriticienne

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